Hier, à l’appel d’un collectif pour la commémoration de la Nakba (déclaration d’indépendance d’Israel, destruction de 400 villages palestiniens et exil forcé de 700 000 Palestiniens), une manifestation était prévue au départ du camp de réfugiés d’Al Amari, dans le but de forcer le checkpoint de Qalandia et de rejoindre Jérusalem et la mosquée d’Al Aqsa, interdite depuis plusieurs jours à toutes les personnes de moins de 50 ans, alors même que les musulmans s’apprêtent à fêter la fin du Ramadan.
Le départ était annoncé à 21h30 par des affiches apposées partout à Ramallah. Et c’est bien avant l’heure que des milliers de Palestiniens étaient déjà rassemblés sur la route 60, formant une marée de drapeaux de la Palestine et de keffiehs. Avec un ami photographe, on a décidé d’aller rejoindre la tête de la manifestation, mais il nous a fallu bien une heure pour remonter le cortège. De fait, la tête de la manifestation était déjà à Qalandia. Là, l’armée israélienne avait déjà, depuis plusieurs heures, bloqué l’accès au checkpoint par des blocs de béton et des grilles, nous attendant de pied ferme avec un attirail de guerre.
Impossible de voir les forces israéliennes, dans la mesure où un énorme spot placé sur l’un des miradors nous éblouissait, inondant l’ensemble de la scène d’une lumière aveuglante.
Autant dire que la bataille avait déjà commencé depuis un moment et que des centaines de pierres jonchaient déjà le sol. En arrivant, la foule se faisait plus compacte et des dizaines d’ambulances avaient déjà entamées leur ronde infernale. Des nuages noirs s’échappaient de pneus en feu et, devant, des dizaines de Palestiniens essayaient d’atteindre l’armada israélienne avec leurs projectiles, s’abritant derrière quelques maigres obstacles (le muret du terre-plein central, un hangar fatigué, une benne à ordure et un barbecue métallique). Des centaines de personnes, accroupies en grappes, tentaient d’éviter les tirs israéliens.
Parvenant sur le devant de la scène, on a été mis dans le bain tout de suite, voyant arriver sur une civière le corps du premier martyr, le front percé d’une balle. Et derrière lui, toutes les deux minutes, des groupes de personnes extrayaient d’autres blessés pour les amener aux ambulances prêtes à partir. Les appels en boucles à l’adresse des secouristes, en plus des volutes de fumée noire, des bruits de balles, de feux d’artifices et des sirènes des ambulances, renforçaient la vision d’apocalypse : « SA’AF ! » (ambulancier en arabe).
Après avoir perdu de vue mon ami, je suis allé de tous les côtés de la bataille : à droite près du Mur, à gauche sur les toits, au milieu de la route, restant à un moment bloqué pendant 15 minutes allongé derrière un mur avec des dizaines d’autres, tandis que les israéliens tiraient juste au dessus des têtes. Les lasers verts des armes israéliennes et le sifflement aigu des balles étaient terrifiants.
Il y a bien eu quelques tirs à balles réelles depuis le côté palestinien, accueillis par des sifflements et des applaudissements, mais globalement la bataille était livrée à l’aide de pierres, de cocktails molotov et de feux d’artifices.
Les assauts répétés des Palestiniens aux cris d’« Allah Akbar ! » étaient accueillis par des séries de tirs, les balles sifflant au milieu de la foule pour aller se loger dans les corps en mouvement, aboutissant sur près de 287 blessés et 2 morts, chiffres qui devraient être confirmés bientôt par les médecins de l’hôpital de Ramallah. Il semblerait que beaucoup de blessés, et sans doute l’un des morts, viennent du camp de réfugiés de Al Amari.
J’ai quitté la bataille autour de 3 heures du matin, alors que la foule était déjà clairsemée et que ça devenait toujours plus risqué de rester sur place. J’avais vraiment l’espoir, comme beaucoup ici, que cette manifestation forcerait le checkpoint, mais la lutte était vraiment inégale. Malgré la détermination sans faille de centaines de jeunes Palestiniens, défiant les balles, l’assaut manquait fortement d’organisation : pas de boucliers, quasiment pas de barricades, presque rien pour se protéger.
Vendredi après la prière de 12h45 auront lieu les funérailles des martyrs. Cette nouvelle journée risque bien de se finir à nouveau dans la violence.
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