Il était entre 4 et 5 heures du matin dans le village de As Samu’, district d’Hébron, quand des jeeps de l’armée ont investi le village. Imposer la terreur dés l’aube, une méthode bien connue des armées coloniales.

Des heurts ont éclatés lorsque les résidents ont tenté de chasser les intrus, les poursuivant jusqu’au bord de la route 60, à l’extrémité occidentale du village.

La route coupe à cet endroit la colline en deux telle une plaie ouverte dans le paysage, pour relier les colonies d’Otni’el et de Shim’a, et ensuite continuer vers Beer Sheba au delà du mur de la honte.

Mounir Ahmad Al Badarin, 19 ans, était l’un de ceux qui ont tenté de résister avec des pierres à l’occupant. Des pierres contre des fusils : tout le drame et le mérite d’une jeunesse désarmée qui risque sa vie quotidiennement pour se débarrasser de l’oppression.

Les dérisoires projectiles palestiniens ont volé sur la route en contrebas. On en aperçoit encore les traces deux jours après. Les jeunes étaient à découvert, bien trop exposés en surplomb de la route. Un soldat a tiré deux balles dum-dum calibre 22 (interdites depuis la Déclaration de la Hague de 1899 et banni en 2001 pour le contrôle des foules par l’avocat général de l’armée israélienne) dans le corps de Mounir. Ses amis ont pris la fuite.

Ensuite, les témoins racontent l’ordinaire barbarie des ado-soldats, qui ont malmené le corps blessé de Mounir, puis ont empêché l’ambulance du croissant rouge de lui venir en aide, tandis que son corps se vidait de son sang. Quarante minutes.

Quarante minutes pour devenir un shaheed. Martyr d’une cause désespérée.

Le lendemain, Ahmad Hamdan Al-Badarin, professeur d’anglais, me raconte avec humilité le destin de son fils. Il raconte surtout sa vision de l’occupation israélienne et son désir inconditionnel de connaître un jour une paix équitable. Un message de paix, bien loin de l’esprit de vengeance qu’on prête d’habitude aux palestiniens.

Dans paix équitable, il y a l’idée qu’une paix ne peut souffrir de compromis et qu’elle n’a de réalité que si les murs tombent. Pas de paix sans liberté, pas de liberté sans combat : on semble se comprendre avec le père du shaheed.

Le soir, la famille de Mounir m’accueille chez elle comme son propre enfant, malgré nos différences et malgré leur peine. Assis parmi eux dans la salle communale, j’assiste à la cérémonie au cours de laquelle des centaines d’hommes d’ici et d’ailleurs viennent leur apporter leurs condoléances.

Mounir avait un élevage de colombes. Les soldats israéliens ignorent sans doute qu’en tuant Mounir, ils ont tué la liberté.

ianB, Hébron, 17 juillet 2014