Le décompte sanglant se poursuit dans la bande de Gaza. 583 palestiniens tués et 3640 blessés (comprenant de nombreuses amputations) depuis le 8 juillet. L’ONU publie même des fresques morbides où chaque victime a sa petite silhouette qui le représente.

Chaque jour, les médias ici sont noyés d’images effroyables, de corps en morceaux et de vidéo montrant la mise à mort en direct par des snipers. Et en dessous, les commentaires innommables des partisans du génocide. La violence des mots sur internet permet de se rendre compte de la barbarie qui motive la destruction de Gaza. La guerre est livrée aussi sur les ondes.

Et puis il y a ces israéliens qui manifestent bruyamment leur envie de meurtre dans les rues, jusqu’à ériger à Haifa et Tel Aviv des checkpoint anti-arabes et anti-gauchistes. Le principe : faire dire « mort aux arabes » aux automobilistes, sous peine de se voir roués de coups. On nage en plein délire fasciste.

Et ici, de l’autre côté du mur, les affrontements avec l’armée israélienne sont quotidiens. Et les blessés ne se comptent même plus. Les soldats d’Israël tirent à balles réelles et font mouche plusieurs fois par heure. Dans la banlieue de Ramallah, à Beit El, Ofer, Qalandia et Ar Ram, j’ai pu voir comment tombent les lanceurs de pierres, les uns après les autres. On passe la plupart du temps accroupis ou à courir de planque en planque. Les pierres et les cocktails molotov tentent vainement de contourner les obstacles et touchent rarement leur cible, mais on dirait que les balles quant à elles, passent au travers de tout. Des lasers de fusil balayent l’obscurité, puis on entend un claquement métallique et une balle qui siffle. La mort se joue à pile ou face.

Autour de Ramallah, il y a plusieurs lieux où ça chauffe chaque soir à partir de la prière du soir (Isha), vers 22h30, et jusqu’à 3 ou 4 heures du matin.

 

AR RAM

C’est tout d’abord Ar Ram, au Sud du checkpoint de Qalandia.

C’est là où Mahmoud Hatem Shawamra, 20 ans, a été tué hier. Les versions sur sa mort divergent. D’aucuns disent qu’un colon l’a tué, d’autres que ce sont les soldats qui lui ont tiré dans le dos. En tout cas, il est mort dans une ambulance militaire qui le ramenait à Hizma, la ville voisine. Des jeunes se sont attroupés autour du lieu où il a semble-t-il été abattu : on y trouve les restes de matériel médical israélien. Mais rien à cet endroit ne valide l’hypothèse d’un tir de colon : cet endroit est situé exactement là où se déroulent les affrontements, à l’entrée d’Ar Ram.

Et c’est d’ailleurs de là qu’est partie une manifestation à l’annonce de son décès, d’abord en direction du centre d’Ar Ram, puis vers les blindés de l’armée positionnés depuis plusieurs heures en face de l’entrée de la ville, sur le rond point de la route 60.

Pour atteindre les soldats, il faut d’abord pouvoir sortir de la ville et atteindre le rond-point. L’armée se positionne au delà, planquée derrière une barrière de béton. De là, les tentatives d’attaques sont vite interceptées par quelques tirs israéliens, qui bénéficient d’un éclairage plutôt favorable…

AR RAM - 22.07.2014

 

 

 

 

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QALANDIA

Puis Qalandia, que chacun connait, avec son checkpoint, son mur recouvert du portrait de Barghouti et son mirador calciné. Principal point de passage entre Jérusalem et la Cisjordanie, et surtout lieu symbolique qui incarne toute l’humiliation des contrôles, l’apartheid et l’interdiction de sortir pour une grande partie des Palestiniens. Juste en contrebas du checkpoint s’étend le camp de réfugiés. Entre les deux passe la route 60, qui relie Jalame (Nord de Jenin) et Meitar (Sud d’Hébron), les deux checkpoints aux extrémités de la Cisjordanie.

La configuration des lieux laisse peut d’opportunité de remporter la bataille. Le checkpoint est protégé par des blocs de béton, derrière lesquels les soldats se positionnent pour canarder. En face, de part et d’autres de la route encombrée en permanence par des véhicules (même quand ça tire), des échoppes avec très peu d’abris. En général, les affrontements commencent par l’incendie de tas de pneus lancés sur la route, puis se poursuivent sur la colline qui longe le Mur. Mais le terrain permet rarement d’approcher le checkpoint à moins de 150 mètres, distance à laquelle seules les frondes ont une chance de faire mouche.

QALANDIA - Juillet 2014

 

 

 

 

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AL BIREH – BEIT EL

Ce qu’on appelle Ramallah, ce sont en fait deux villes côte à côte, Ramallah à l’Ouest et Al Bireh à L’Est. Quasiment entre les deux, toujours la même route 60. Et à l’Est d’Al Bireh, deux colonies surplombent la ville : Psagot et Beit El, la seconde ayant la spécificité d’accorder la moitié de son territoire à une base militaire. C’est donc à proximité de cette base militaire, au Nord de Ramallah-Al Bireh, qu’on lieu la plupart des affrontements.

Là, on sort de la ville au niveau d’un rond-point au milieu duquel s’élance un immense porte-drapeau en béton. Au sommet, le drapeau palestinien, comme un défi lancé au colons et aux soldats qui résident en face. Et juste après, une station essence Al Huda et quelques pâtés de maisons, derrière lesquels les affrontements se déroulent.

La configuration des lieux offre ici plus de possibilités, mais une grande partie du terrain est très exposée. Seules les maisons et les quelques murets qui les entourent sont là pour servir d’abris.

Dimanche soir, les affrontements y ont été particulièrement violents.

BEIT EL - 20.07.2014

 

 

 

 

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OFER

Et enfin, Ofer, au Sud-Ouest de Ramallah. En réalité, la ville s’appelle Bétunia, mais le lieux où se déroulent les affrontements est situé à quelques centaines de mètres de la prison israélienne d’Ofer et de son checkpoint. Ofer est, avec Megiddo et Ktzi’ot, l’une des trois principales prisons israéliennes où s’entassent les prisonniers palestiniens : entre 800 et 1200 détenus.

La prison est dans l’arrière plan. Au premier plan, une petite route quitte Betunia pour rejoindre le checkpoint, devant lequel un immense terrain vague empêche quiconque de trouver un abris. Les palestiniens utilisent les pentes escarpées de la colline pour s’abriter et lancer des pierres sur les véhicules qui font des va-et-viens sur le terrain vague en contrebas. Ils tentent aussi des approches sur le flan Est de la colline, qui donne directement sur le Mur. A cet endroit, il y a une porte que les soldats utilisent régulièrement pour contre-attaquer côté palestinien.

Au sommet, l’une des usines du businessman Yasser Abbas, fils de Mahmoud Abbas. On y fabrique des cigarettes, pour le plus grand bien de son propriétaire, dont la fortune personnelle construite depuis les accords d’Oslo est vivement critiquée en Palestine. Ça en dit long sur ce que la famille Abbas peut attendre des processus de paix en cours. Yasser, nationalisé au Canada, est bien loin de tous ces soucis, tandis que ses agents de sécurité observent les affrontements depuis un petit balcon.

OFER - 18.07.2014

 

 

 

 

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En dehors du district de Ramallah, des nouvelles d’affrontements viennent aussi quotidiennement d’Hébron, de Halhul, de Beit Oumar ou de Al Arrub, où la population subit les incursions régulières de l’armée. Mais il ne faut pas croire que le conflit s’est focalisé sur quelques villes ou villages portant le flambeau de la résistance palestinienne : partout où les soldats israéliens mettent les pieds, la population réagit à leur invasion par des jets de pierre. Et l’actualité brûlante de ce dernier mois a ravivé la colère d’une population pressurisée depuis bien trop longtemps.

Car ce qu’on ne dit pas trop, c’est que mois après mois, jours après jours, l’armée vient la nuit kidnapper chez eux des milliers de Palestiniens en dehors de toute justification légale, que ceux-ci soient ou non affiliés au Hamas. L’important pour Israël étant de détruire dans l’œuf toute velléité de résistance organisée.

Et si d’aucuns en occidents voient dans les manifestations du vendredi (Bil’in, Ni’lin, Nabi Saleh, Al Masara, Kufr Qaddum) l’avenir de l’insurrection palestinienne (non-violente, donc plus politiquement correcte), la résistance quotidienne est pourtant bien moins visible et moins médiatisée, en dehors des médias locaux. Tout se joue en général à la nuit tombée, lorsque la plupart des étrangers sont rentrés chez eux : je n’ai pas vu d’étrangers prendre part aux révoltes nocturnes, beaucoup préférant passer leur fin de soirée dans les cafés narguilé du centre ville de Ramallah. C’est sans doute plus cool, et puis « la nuit c’est dangereux ».

Malheureusement, la spontanéité de ces révoltes nocturnes les rend aussi beaucoup plus maîtrisables.