Paris, le 31 juillet 2014
Rentré de Palestine ce lundi, je tente de remettre de l’ordre dans mes pensées, de revenir sur les choses que j’ai vu, les discussions que j’ai eu, les sensations que j’ai ressenti au cours de ces 45 jours passés en Israël et en Cisjordanie.
Sans sombrer dans des considérations ethnocentriques dignes des guides touristiques, je dois néanmoins admettre que j’ai trouvé chez les Palestiniens une incroyable hospitalité et une ouverture d’esprit sans pareille. Difficile de comprendre comment après tant d’années de privations et de violences, le peuple palestinien arrive encore à trouver la force d’aimer l’Autre et de lui ouvrir sa porte. On a tendance à croire que l’être humain dont la vie est jonchée de drames se laisse fatalement emporter par ses plus noirs sentiments et que la destinée d’un peuple meurtri est de se déchaîner dans l’adversité et le terrorisme. Mais il n’en est rien.
Si les martyrs font partie de la vie palestinienne, et si mourir sous les coups de l’ennemi est vécu par les familles de shaheed autant comme un drame que comme un honneur, je n’ai pas vu chez les Palestiniens ce fanatisme que certains voudraient leur prêter et qui voudrait que les Palestiniens soient des grands partisans de l’attentat suicide.
Pour autant, je dois admettre que je ne ressent ni mépris ni indifférence pour ceux et celles qui ont choisi de donner ainsi leur vie pour la liberté, que ce soit par colère, par désespoir ou par haine. Mettre sa vie dans la balance, ce n’est jamais tout à fait un choix, c’est souvent l’aboutissement d’une longue descente aux enfers, d’une lente prise de conscience de la vanité de la vie dans des contextes où tout n’est qu’entrave au bonheur et à la joie. Israël a construit les conditions de sa propre destruction, en écrasant continuellement tout un peuple sous son talon de fer, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, alors que la source de ce terrorisme est dans les origines mêmes de la création d’Israël : sans la destruction de centaines de villages, sans l’assassinat et l’expulsion de milliers de Palestiniens de leurs terres et sans Occupation, il n’y aurait pas eu de terrorisme.
En Palestine, je n’ai jamais eu peur. Les seuls moments où j’ai ressenti la peur, c’était au contact des colons et des soldats israéliens. Ils ont peur autant qu’ils inspirent la peur, parce qu’ils sont faits de peur. Enfermés dans des îlots résidentiels entourés de murs et de barbelés, munis d’armes automatiques et accompagnés d’hommes en armes, exprimant la méfiance et le mépris, ils ont oublié leur humanité. Ils se comportent souvent avec agressivité, y compris à l’égard des non Palestiniens. Et les excuses qu’ils pourront donner pour se justifier d’être si fermés sont fausses : ils ne sont pas en danger. Il suffira pour ça de comparer le nombre de morts Israéliens et Palestiniens depuis 2000 pour comprendre que ce ne sont pas eux qui ont besoin de protection.
Mais à leur parler, on comprend très vite qu’ils sont bercés de mythes et de préjugés, convaincus depuis leur plus jeune âge que l’arabe est un assassin et un menteur, qui ne souhaite que la destruction des juifs. Chez les colons, on raconte que les enfants arabes apprennent à tuer à l’école, que la notion de paix chez eux n’existe pas, que la civilisation arabe est sans foi ni loi et que le Coran n’enseigne que la violence. Discuter avec les colons m’a amené à entendre des choses que je n’aurai pas cru pouvoir sortir de la bouche d’un peuple si longtemps persécuté et victime du racisme. Ces juifs ont oublié.
Durant ce mois en Israël / Palestine, j’ai découvert que le racisme de la société israélienne était violent, qu’il pouvait prendre la forme de pogroms dignes de ceux qui ont entraîné la mort de milliers de juifs en Russie entre 1880 et 1945. J’ai vu de larges groupes de jeunes israéliens descendre dans la rue en hurlant « mort aux arabes » et en frappant leurs détracteurs, exprimant des désirs de massacre et insistant ouvertement sur la nécessité de s’en prendre d’abord aux enfants et aux femmes enceinte pour que la race arabe ne se reproduise pas. Les élites israéliennes auront beau nous dire qu’il s’agit de positions marginales, les prises de paroles de personnages publics, la caution donnée par l’Etat israélien aux violences des colons et la propagande accompagnant le massacre de la population gazaouie sont autant de signaux favorables envoyés à tous les fascistes israéliens.
Il y a malgré tout de nombreuses voix israéliennes opposées à la politique de l’Etat d’Israël. Il y a des organisations juives pour la paix, des juifs orthodoxes antisionnistes, des militants de la gauche israélienne, des anarchistes contre le mur. Mais ils rencontrent eux aussi une violence sans pareille, accusés de trahir leur peuple et de jouer le jeu de l’antisémitisme, alors qu’il ne s’agit pour eux que de dénoncer le nationalisme juif.
La Palestine est définitivement faite de contrastes.
Et lorsque je remonte le fil de l’actualité de ce dernier mois, je me rends compte que les incohérences s’accumulent. Rien aujourd’hui n’éclaire par exemple les circonstances de la mort des colons Gilad Shaer, Naftali Fraenkel et Eyal Yifrah, dont les corps ont été retrouvés quasi intactes après avoir passé deux semaines sous un tas de rochers en plein soleil. Israël s’est empressé d’accuser deux jeunes Palestiniens de Halhul dont ils n’ont jamais retrouvé la trace, avant de détruire les maisons de leurs familles et d’arrêter leurs proches. Les opérations militaires dans de nombreuses communes de Cisjordanie, ainsi que la violence des colons et l’assassinat du jeune Palestinien Mohammed Abu Khdeir à Shu’afat, puis le bombardement de Gaza, se sont soldés par des semaines d’affrontements quotidiens au cours desquels des centaines de Palestiniens ont été blessés et une vingtaine tués en Cisjordanie.
Qui est responsable de tout ça ?
Que deviendront les jeunes fanatiques qui ont incinéré vivant Mohammed Abu Khdeir ? Ils ont été relâchés, sous contrôle judiciaire.
Que deviendront ces soldats qui, délibérément, de leurs armes de pointe, ont abattu des Palestiniens armés de pierres ? Ils sont félicités, ils ont bien fait leur travail. Israël rend grâce aux assassins.
Pendant ce temps à Gaza, on est à 1422 morts (23% d’enfants) et 8265 blessés au 31 juillet. On a dépassé le montant des victimes des opérations précédentes. Israël ne se défend pas, Israël extermine. Certains parlent de génocide, le mot qu’on ne doit pas dire sans l’aval de l’ONU.
Alors oui, le Hamas lance des roquettes sur Israël, c’est vrai. C’est triste et condamnable. En tout cas au regard de notre bon œil occidental. Mais qu’attend-on de la résistance palestinienne ? Qu’elle se fonde de compromis intolérables, qu’elle renonce aux terres qui ont été volées, que les milliers de réfugiés renoncent à vouloir rentrer chez eux, que les Palestiniens vivent à l’ombre du Mur et acceptent l’occupation par les forces israéliennes et par les colons de leurs terres nourricières ? C’est sans doute l’aboutissement des pourparlers sans fin acceptés par l’Autorité Palestinienne, et les conditions nécessaires à la constitution d’un futur État palestinien. Le Hamas est islamiste, sans doute. Ce qui est triste, c’est qu’elle reste l’une des seules organisations à porter encore une résistance radicale au colonialisme israélien. Et je refuse d’oublier que les États coloniaux ont toujours qualifié de « terroristes » les organisations armées de libération nationale. La religion, après, c’est un problème de société : on a autant de fanatiques en France qu’ailleurs. Seulement les musulmans, ça fait plus peur.
Je ne rentrerai pas dans les distinctions fumeuses entre bons et méchants, je laisse ce sport aux analystes télé et aux politiciens.
J’ai quitté la Palestine alors même que les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, le bras armé du Fatah, lançait à son tour des attaques ciblées contre les forces armées israéliennes et les colons en Cisjordanie, en solidarité avec Gaza et en soutient des actions du Hamas.
Autant dire que l’été n’a pas fini d’être brûlant.