Crédit photo d’illustration : Majid Bouzzit
Un témoignage écrit de Kamel :
Mea culpa, mea maxima culpa
« Si vous vous êtes mal comporté repentez-vous, faites amende honorable et promettez de mieux vous comporter la fois prochaine. Ne ressassez pas vos erreurs. Se traîner dans la boue n’a jamais été le meilleur moyen de se nettoyer ». – Aldous Huxley, Brave New World
Le flou juridique entourant ma situation actuelle, assimilable au collier étrangleur ornant le cou d’un mâtin, m’enferme dans une vie de bannissement. Tel le lépreux contraint de vivre de l’autre côté du pont, je ne peux me résoudre à attendre ma mort prochaine simplement parce qu’aucun remède n’a été découvert. Alors je me débats.
L’article 4 du Code civil dispose que :« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. »
Lorsque la justice se cache derrière des lois faites sur mesure pour prolonger mon assignation à résidence, existe t-il un article du code civil qui pointe du doigt ce genre de pratique malhonnête ? Malgré mes recherches force est de constater que la loi c’est EUX. La loi ne préserve pas de l’injustice. La loi crée l’injustice et se satisfait du déni.
Faut-il faire amende honorable pour avoir quelques égards à leurs yeux. Maintes fois j’ai refusé d’entreprendre cette démarche. Pour s’amender il faut se sentir coupable. Terroriste : je n’en revêts pas le manteau. Un visa falsifié, un voyage de quatre mois au Pakistan et en Afghanistan, et certainement une pensée binaire qui refusait le monde complexe qui lacérait mon cœur d’éternel exilé blessé, me rendent
coupables. Mea culpa, mea maxima culpa !
Exécuté dans un lieu public, après affichage de la condamnation, en présence du juge, puissai-je expier mes fautes par la complainte de l’amende honorable ? Les présidents de tribunaux, les assesseurs, les procureurs, veulent-ils écouter ce genre de repentance ? Ils veulent bien plus. Ils veulent de l’horreur. Attentat, dangerosité, folie et démence. Allégeance à l’ennemi. Étrangeté de l’étranger qui n’a jamais voulu s’assimiler aux meilleurs valeurs qu’il soit : celles de la Pax Occidentalis.
Et même si j’empruntais cette voie presque rédemptrice on m’accuserait de dissimuler mes pensées intimes dans mon inexpugnable for intérieur. On me persiflerait avec haine « TAQIYYAH ». Tandis que je suis catalogué « islamiste radical » comment mon discours trouverait-il le moindre écho empathique? De surcroît, je suis algérien de naissance avec un faciès qui ne tromperait personne…et je ne joue pas du piano debout.
Il faut être aveugle et sourd pour ne pas voir et entendre sourdre le piège qui m’enlace, m’enserre me nasse. Après les attentats du 11 septembre je fus érigé en coupable idéal. La figure du monstre patibulaire barbu dont la maligne intelligence suspectée ne laisse place à aucun doute. Le manipulateur odieux qui n’avoue pas, qui ne cesse de bretter avec sa seule arme : un acéré et verveux verbe acerbe. En détention, les rancœurs de cette injustice s’expriment par une violence souterraine encrée dans une souffrance sans nom.
Les « matons » veulent me soumettre, m’annihiler pour neutraliser ce qu’on a voulu faire de moi : UN MYTHE ; Une chimère monstrueuse, errante et divagante dans les couloirs sordides de ces souricières putrides de claustration, accompagnée par le seul spectre de son extrême solitude. Sept ans d’incarcération dont 4 ans à l’isolement. Je ne suis pas sorti indemne de cette épreuve. Comme un animal qui sort de sa cage notre nature sauvage reprend ses droits face à nos geôliers qui veulent de nouveau nous apprivoiser.
A mon élargissement – ce seul mot est une horreur – le 21 avril 2008, je suis placé dans un centre de rétention administrative pendant quelques jours intenses au cœur d’une cour des miraculés acculés entre des grilles ornées de barbelés et un tarmac. Après toutes ces années d’humiliation en incarcération, la perception de ce que je vois, me laisse perplexe. Je relativise mon sort.
Le 24 avril 2008 je me retrouve assigné à résidence dans la commune d’Aubusson en Creuse. C’est irréel, car après m’avoir traité comme une bête immonde pendant des années, on m’offre cette pseudo-liberté. Je peux enfin respirer un air frais face à des champs lumineux et sereins. Mais mon instinct de survie m’étreint
et me souffle que des barbouzes pourraient m’abattre là, loin de tout comme un gibier de potence traqué : un traquenard maquillé en accident de chasse dans la campagne creusoise, qui s’en émeuvrait.
La paranoïa s’estompe peu à peu et comme dans un mirage, je rencontre ma compagne 15 jours après mon arrivée dans cette campagne…un miracle. Dans cette ville dont le nom légèrement usé par les siècles signifie le baiser en arabe, entre les épines fleurit celle qui deviendra ma compagne de toutes les infortunes et de toutes les mendiantes fortunes. Elle avait embrassé l’islam avant de m’embrasser. Enseignante, elle ne me juge pas. Elle m’a absolument absous de ce dont on m’a accusé sans aucune preuve tangible et me soutient dans ma réhabilitation. 18 ans se sont intensément écoulés depuis cette année 2001.
Incarcération-assignation-neutralisation. C’est une trilogie épique dont je suis l’anti-héros. Sur les deux dernières illustrations du triptyque, ma femme et nos enfants sont représentés. En refaisant l’histoire de ma vie, en m’attachant à chaque détail voire chaque indice, un scénario prend forme. Et surtout une seule question affleure : comment se serait dessiné ma vie si j’étais né sur le sol français ? Car pour le législateur français je suis né sur le sol algérien, y ai vécu seul avec ma mère et mon frère jusqu’à mes cinq ans, donc je suis définitivement algérien. Ma naturalisation en 2001 n’était qu’en fait une fausse couche survenue au bout de neuf mois. Donc je suis définitivement algérien. L’école primaire, le collège, le lycée et l’université n’ont pas construit mon identité. Mes amis français, les médias français, la culture française, la vie tout simplement française n’ont eu aucun impact sur ma façon de vivre, de parler, de penser et de m’habiller. Je suis définitivement algérien. J’ai grandi dans le quartier latin de Paris, fréquenté les meilleures écoles et je ne serai pourtant définitivement jamais français.
Alors aujourd’hui à l’heure où chacun réveillonne dans son cocon familial, où l’esprit de Noël souffle dans le cœur des gens comme pour leur murmurer « tu n’es pas seul », je suffoque dans cette chambre décrépie de neuf mètres carrés comme dans une geôle catapultée sur la lune. Ma femme et mes enfants entourés de leur famille fêtent par principe l’événement tout en ayant une petite pensée pour moi. Ils ne peuvent pas s’empêcher de vivre. Ils sont français. J’ose rêver qu’un jour moi aussi je puisse arborer ce titre au su et au vu de toutes et tous. Rassurez-vous ! ce ne sera pas pour « les p’tits papiers » mais pour enfin me sentir moi-même et ne pas être amputé d’une partie de mon identité profonde, n’en déplaise à certains. Cette identité à laquelle je voudrais dire : «Fille bohème, le jour qu’il plaira au roi notre sire, à l’heure de midi, vous serez menée dans un tombereau, en chemise, pieds nus, la corde au cou, devant le grand portail de Notre-Dame, et y ferez amende honorable avec une torche de cire du poids de deux livres à la main, et de là serez menée en place de Grève, où vous serez pendue et étranglée au gibet de la ville…»
Victor Hugo – Notre-Dame de Paris